Un mot sur Jean Hourlier…

La magie d’un horloger
de Bernard Perroy

(article paru dans « Le coin de Table » n°44, novembre 2010)

Jean Hourlier n’est pas de ce temps, et n’a jamais été de ce temps. Hors temps, Jean Hourlier ! Et pourtant le poète est immergé dans le flot d’une existence active (1) et son écriture vient déchiffrer l’or des jours en s’ouvrant paradoxalement à la nuit « digne de la clarté riveraine des ombres »…

Bienheureuse opacité…

Quand la seconde nuit a débordé ta nuit / Pour fabriquer du jour d’un excès de ténèbres, écrit-il dans “L’œil Définitif” (éd. du Petit Pavé, 2002). La poésie de Jean Hourlier est un chant à la fois sombre et éclatant, mariant les contraires pour mieux faire jaillir les contradictions et les contrastes de cette vie, et surtout pour nous faire toucher par les sens (toucher, lumière, musicalité du mot, etc.) cet “au-delà des sens” et cet “au-delà du sens”… Plus exactement, pour reprendre ses propres mots, « la poésie vise l’arrière-sens »… À propos de Jean Hourlier, Katty Verny-Dugelay écrit que celui-ci « souhaite accéder dans son cheminement intérieur, quel que soit “le cœur inaccompli !”, à une altitude de l’être » (2).

Chez Jean Hourlier, pas d’esbroufe, pas d’éclat, mais un fil tranchant : le couteau d’une écriture qui taille et façonne un diamant dur et froid auprès duquel l’âme s’échauffe, s’éveille, si elle était endormie ! C’est une écriture méticuleuse d’ébéniste « par le recueillement de ses encres noueuses ». Le poète, ici, ne cherche pas la facilité d’une clarté déployée trop rapidement ; il confie dans l’une de ses conférences (3) : « Trop de clarté tue l’illumination. » La résistance, l’opacité capiteuse de ses textes sont volontaires. Il les considère comme « une chance pour le lecteur (car) elles lui demandent sa collaboration active et inventive. »

 On cherchera toujours…

 Quand on “sort” d’un poème de Jean Houlier, on ne sait rien de plus, sinon qu’une vague d’étonnement, de vide, ou même de désarrois, mais aussi de “satisfaction” indicible, vient irriguer notre demeure intérieure, cette “Chambre impondérable” pour reprendre le titre de son dernier recueil (éd. du Petit Pavé, 2009). Quand on “sort” d’un poème de Jean Hourlier, on sait qu’on ne sait rien, qu’on ne sait pas, mais que l’on cherche, et que l’on cherchera toujours… « Errance » est ce vocable qui revient souvent dans l’écriture de ce grand silencieux, de cet homme respectueux d’autrui, homme d’une grande qualité d’âme et d’ouverture. Il dira : « Nous avons tous besoin de nous relier aux autres, à quelques autres du moins, par-delà les explications et les déploiements. » Et c’est un homme qui vit ce qu’il dit… Un homme aussi qui a une sainte horreur des frontières ou des “comblements” trop rapides, trop superficiels, que nous nous fabriquons souvent pour oublier ou fuir la fragilité et l’inachèvement de cette vie, nos manques et notre abîme…

Ce “chercheur” marche dans la vie avec ce constat lucide devant l’énigme :

Entraînée par les fièvres mourantes, la frêle
Vision s’exonère des vains ornements ;
Les brouillards de la nuit gémissent doucement
Les poisons, les marais, les larmes de leurs ailes…

La vie est un cadeau si difficile à vivre, à déchiffrer, à déplier, si paradoxal, si mystérieux, qu’on ne peut lui faire face qu’avec ce « chant bas et voilé » qui s’élève, implorant, « pour murer l’erratique errance de la foudre ». La poésie de Jean Hourlier est à la fois intime, lumineuse, sombre, angoissée, concise, ouverte, nue, mélancolique, implacable, musicale, inattendue, douloureuse, attentive… « Puis plus rien, que le Temps, dans le Temps, qui se traîne… »

 Faire œuvre de décantation…

Jean Hourlier, avec l’obstination, la précision de l’architecte, de l’horloger, du ciseleur, façonne ses quatrains dans une langue noble et savante, dans une gangue, un corset de beauté pour libérer curieusement le lecteur de la gangue des jours, et des nuits, et de tout ce qui vit en lui comme une enceinte, un mur, une question, un péril… Ses poèmes, une fois lus, nous renvoient aux questions, à l’énigme de la vie qui nous habitent, mais nous sommes alors “arrosés” et “nourris” de ces mots dont la puissance – du fait de la structure, de la concision, du vocabulaire et des sonorités – vient comme “rafraîchir” le coeur, et non pas faussement le “consoler”, le “rassurer” !

Le poète, agnostique, ne cache pas son amitié pour Maurice Courant (4), cet autre “chercheur”, chrétien, qui parle de l’écriture de Jean Hourlier en ces mots : « L’irrécusable et frémissante rectitude de son chant emporte spontanément l’âme en dehors d’elle-même et là où elle ne serait pas allée sans lui. » Jean Hourlier dira lui-même de sa propre démarche qu’elle est « la recherche d’une forme impeccable, susceptible d’agir comme un excitant psychique. » En pensant que « l’incantation est œuvre de décantation », Jean Hourlier revendique comme influences majeures de son écriture, Mallarmé et Valéry. Sa poésie dépouille, décape et « décante », effectivement, mais avec une “magie” qui s’opère, une harmonie des mots qui se laisse “infuser” dans la vie-même de nos âmes…

Notes

(1) Né en 1951 ; professeur de lettre modernes à Cholet ; a fondé l’association “Poésie à l’Ouest” ; a créé, et dirige depuis 2005, la Collection “Le Semainier” aux éditions du Petit Pavé.
(2) Dans la revue Arpa n° 97, octobre 2009.
(3)Sur la poésie”, conférence donnée à Cholet, le 1er mars 2001 (fait suite à “L’œil définitif”, éd. du Petit Pavé, 2002)
(4) cf la conférence-hommage à Maurice Courant, “Entre ténèbres et lumière” donnée en 2008 à Cholet dans le cadre de l’Association Poésie de l’Ouest

Bibliographie

- “Délaissement de la prose”, éd. La Bartavelle, 2000
- “L’Oeil définitif”, éd. du Petit Pavé, 2002
- “Près des Sources cruelles…”, éd. du Petit Pavé 2005
- “La chambre impondérable”, éd. du Petit Pavé, 2009

 -  © article paru dans « Le coin de Table » n°44, novembre 2010 -

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(voir, en marge de droite, les Liens : de Jean Hourlier, des éditions du Petit Pavé, de Maurice Courant)

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