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Archive pour la Catégorie 'Articles B. Perroy SUR…'

« Le voile de l’ange » de A.M. Ravitzki

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http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/anna-marie-ravitzki-le-voile-de-lange/bernard-perroy

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Un mot sur… Solomon Rossine

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Solomon Rossine, on l’aime ou on ne l’aime pas ! « Du déjà vu » diront les uns, « Trop de tristesse » diront les autres, tandis que d’autres encore trouveront dans l’homme et dans sa peinture un bouquet de tendresse et d’authenticité.

 

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« Un banc » (1984) de Solomon Rossine  © B. Perroy


Les accents d’une âme russe

Solomon Rossine travaille sans tenir compte de tout cela, ni des modes, ni des opinions, ni des avis multiples qui sévissent ça et là sur la beauté, sur l’art, sur « ce qu’il faut » pour être d’aujourd’hui ou de demain… Solomon Rossine suit son petit bonhomme de chemin, vrai homme, vrai peintre, obéissant à son cœur et traduisant la vie avec son lot de tristesses et de joies. Son œuvre, inévitablement, révèle les accents d’une âme russe, d’une âme slave… Ses œuvres renferment beaucoup d’humanité. Rossine possède, c’est vrai, un faible pour tout ce qui est pauvre et fragile… Pour les « petits » ou les « blessés de la vie »… Mais il s’appesantit nullement sur les difficultés de la vie pour elles-mêmes, comme on le trouve parfois d’une façon morbide chez certains artistes.

On en trouve un exemple admirable dans le personnage de « Ninon ». L’année de ses 20 ans, alors qu’il est étudiant aux Beaux-Arts de Leningrad (ancien nom de Saint-Petersbourg), Rossine fait entrer dans sa peinture une jeune étudiante répondant au nom de Lenina Nikitina. Cette jeune femme a beaucoup souffert (voir en fin d’article le survol de sa vie). Le personnage de « Ninon », comme il la nomme, s’impose au fil du temps dans l’œuvre de Rossine, jusqu’à devenir sa muse à laquelle il reste attaché, avec un regard d’amitié et de compassion, un demi-siècle plus tard (1).

arrêt de bus loin de Moscou,2010-197x142 c Bd Perroy« Arrêt de bus loin de Moscou » de Rossine, 2010  © B. Perroy

Éloge de la fragilité

Au-delà de « Ninon », les thèmes de Rossine, nous l’avons compris, sont avant tout des personnes de la vie courante tel ce « Brave homme » et de nombreux anonymes : l’un assis sur un banc, l’autre priant, un autre encore surpris à un arrêt de bus… Rossine multiplie ainsi ces scènes ordinaires comme des « instantanés » de vie, mais pour y montrer l’homme et rendre compte de la condition humaine en générale… Scènes anodines à vocation universelle… Pétrie de l’âme russe, l’œuvre de Rossine possède également en arrière-plan toute une dimension spirituelle : on voit une femme prier le soir dans sa cuisine, une autre femme avec une hostie à la main, une « vieille mourante », une évocation du jardin d’Eden, une évocation d’une « lecture sur la montagne », Etc.

prière du soir, 2007 - c Bd Perroy« Prière du soir » de Rossine, 2007  © B. Perroy


« Rossine peint la vie et la mort, les hommes, leur grandeur, leurs misères. En regardant ses œuvres, on serait tenté de penser à Chagall mais l’humanité de Rossine est autrement paradoxale, rapprochant l’artiste des Van Gogh, Bruegel et Goya. » Didier Benesteau

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Autrement dit, Rossine exprime le fait que l’homme possède une vie précaire sur cette terre, une vie éphémère, fragile, une vie qui souvent « dépouille », « simplifie », « dénude » tandis que nous ne sommes que des nomades ici-bas… Curieusement, dans cette œuvre qui pourrait parfois paraître « douloureuse » se cache une extraordinaire espérance. Le pauvre dépend de Dieu, radicalement… Mais laissons la parole à l’artiste lui-même : « Ce n’est pas tous les jours que le soleil brille en Russie. Un vent violent balaie les feuilles mortes, hurle dans les sapins, faisant naître à travers leurs cimes, telles les cordes d’un instrument, une mélodie aux vibrations menaçantes : c’est la fragilité. Elle est comme la beauté de tout ce qui nous est cher, tout ce qui bouleverse par son dénuement. »

 

Discerner la beauté des cœurs

Au fond, Solomon Rossine par toute son œuvre, mais aussi par l’exemple de sa vie, nous montre combien croire en Dieu mène indubitablement à croire en l’homme. L’artiste possède l’art de discerner la beauté du cœur humain, sa profondeur, sa dignité, ses désirs, ses attentes, même si toute cette aventure et cette richesse se trouvent souvent cachées, enveloppées dans un manteau de peines, de pauvreté ou de misère… L’écrin de cette vie, dans tout ce qu’elle a de vraiment incarnée, renferme une beauté, un trésor indescriptible : tel est finalement le thème récurrent des œuvres de Rossine…

(1) « Ninon le cœur pur » fut une très belle rétrospective des œuvres de Rossine proposée durant l’été 2010 à l’Abbaye Blanche (en Normandie) par Didier Benesteau (06 24 38 31 73), accompagnée d’un reportage et d’une galerie photos noir et blanc, sur l’artiste et sur « Ninon », du photographe Hervé Desvaux. En ce même lieu, Rossine a exposé en 2003 et 2006.


 p1040213.jpgSolomon Rossine  © Hervé Desvaux


Biographie

- Né à Gomel (Biélorussie) en 1937

- Etudie les arts plastiques à Leningrad et à Moscou entre 1955 et 1963

- Voyage à travers la Russie

- Participe à de nombreuses expositions (le plus souvent non officielles) à Leningrad, Tallin, Moscou

- En 1989, fait sa 1ère exposition en Occident

- En 1991, s’installe en France à Lannion (Bretagne) où il vit encore aujourd’hui.

p1040218.jpg« Ninon »  © Hervé Desvaux


L’histoire de « Ninon »

Elle a vécu toute sa vie à Leningrad. Durant le blocus commencé en septembre 1941, une bombe a détruit une maison voisine de celle de « Ninon ». Les vitres brisées chez « Ninon » étaient colmatées avec chiffons et contreplaqué. Ni électricité, ni eau. Un poêle, mais pas de bois !

Elles étaient trois : le maman, la sœur Lala et « Ninon ». Elles buvaient réchauffée dans une casserole de l’eau mélangée à de la colle forte. La maman est morte d’épuisement le 1er février 1942 alors qu’elle dormait dans le même lit que « Ninon ». Elle est resté ainsi morte dans le lit de « Ninon » durant 6 jours, sans que l’on prévienne personne, pour que l’on puisse encore, durant ces 6 jours, bénéficier de la carte de la maman permettant de recevoir une ration de pain…

Par la faim, « Ninon » est allé jusqu’à tuer son chat, « Tigrée » – un 25 avril 1942 – pour le manger. « C’était le jour de mon anniversaire ; j’avais 11 ans. (…) Pendant le blocus, j’ai appris sur moi-même, plus que je n’apprendrai pendant tout le reste de ma vie. »

Après le blocus, « Ninon » a vagabondé dans les hôpitaux, les maisons communales, les gares, avant de se stabiliser tour à tour dans deux studios. Elle a bénéficié toute sa vie d’une pension. « Ninon » a transformé son dernier studio, au centre de Saint-Petersbourg, en un « chenil » de 5 chiens et une multitude de chats qui y mangent et y dorment. « Ninon » les sert avec une grande fidélité.

Depuis ces 50 ans d’amitié avec « Ninon », Rossine dit d’elle, dans son propre Français : « Toute sa vie, elle a gardé dans le cœur quelques traits propre à Jésus-Christ, mais sans son prêche. Depuis mon déménagement en France, Ninon est devenue ma muse pitoyable. »

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(D’autres oeuvres de Rossine dans la catégorie : « Albums photos »)

Un mots sur… Rachid Koraïchi

 

L’art et le signe chez Rachid Koraïchi

Bernard Perroy


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Rachid Koraïchi dans son atelier – © Dominique Lefevre

Rachid Koraïchi est un homme d’ouverture et de cœur dont la présence aux autres est d’une rare qualité malgré un emploi du temps chargé. Il vous reçoit dans son atelier avec un thé et quelques pâtisseries dont les douceurs rappellent son Algérie natale.

 

La danse du trait

Dès son enfance, Rachid Koraïchi fut fasciné par la danse du trait trouvé dans les manuscrits et les gravures de ses ancêtres. Il vient lui-même d’une famille soufie et fut élevé dans l’amour d’un riche patrimoine artistique et spirituel. Entre tradition et innovation, son art est enraciné dans sa culture et profondément contemporaine. Si le style en est tout de suite reconnaissable, l’artiste se caractérise par une certaine sobriété et discrétion.

 

Nulle part dans ses œuvres, Rachid Koraïchi ne se met en avant. Il se retire derrière son œuvre qui vient traduire les multiples dimensions de la vie. Bien plus que de simples « dessins » figuratifs, il s’agit plutôt chez Koraïchi d’une « écriture ». « L’écriture, c’est la vie », nous dit-il. Même s’il puise dans le fonds de la culture arabe et de la calligraphie, Koraïchi sort des sentiers battus et ne se définit pas comme un calligraphe. Sa « graphie », il la « pose » à l’encre sur le papier, mais également sur des supports variés qui font intervenir de nombreux artisans.

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Dans l’éclat de la mer, 2005 – © Rachid Koraïchi

Graphie et mots

Rachid Koraïchi intervient souvent pour rendre hommage aux écrivains qu’il aime. Les graphies et les textes se complètent et s’interpellent alors d’une façon étonnante pour aboutir à de véritables livres d’art. Il n’illustre pas les écrits ou les poèmes, il les « interprète ». À leur écoute, il « cherche à rendre compte de l’élan intime qui inspira le texte ».

Il a « interprété » un nombre impressionnant de textes de poètes contemporains (notamment aux éditions Al Manar) reconnus tant en France que dans tout le bassin méditerranéen. « La Méditerranée ne nous sépare pas, elle nous réunit », nous dit cet homme généreux. Il a produit toute une œuvre autour de plusieurs figures de la tradition soufie, mouvement mystique de l’islam auquel il se réfère. « La Miroir infini » (aux éditions Alternatives) en est un bel exemple, autour des textes mystiques de Rûmî, poète et philosophe soufi du XIIIe siècle. Huit siècles plus tard, la poésie de Rûmî et les graphies de Koraïchi plaident vigoureusement contre la réduction de l’islam à l’islamisme. Le livre tourne autour de sept thèmes : la tolérance, la Création, le miroir, la poésie, la danse, la musique et l’amour, comme sept voies d’accès à un seul et même univers…

 

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Signes et symboles

L’oeuvre de Koraïchi rend compte d’une harmonie et d’une transcendance… « Pour que notre vie soit digne d’être vécue ou pour ne pas périr, il nous faut la beauté salvatrice d’une transcendance se penchant sur nous » nous dit-il.

L’or et le bleu reviennent souvent dans l’œuvre de Koraïchi, travaillée sur de multiples supports : tissage, céramique, cuivre, sculpture, gravure, lithographie, parchemin, soie… Quel que soit le support, la beauté et la puissance de l’œuvre sont telles que le trait semble l’oublier, va au-delà de la matière, vit son existence et danse et respire…

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Évocation de l’oeuvre de Rûmî – © Rachid Koraïchi

Pour Koraïchi, le bleu est « chemin de l’infini, couleur qui exprime le détachement des valeurs de ce monde ». Les fonds bleus évoquent aussi les voûtes du ciel décrites par Rûmî et le célèbre Coran bleu exposé dans le musée de Kairouan (Tunisie). Le chiffre 7 est récurrent chez lui, chiffre de la perfection qui doit d’abord être celle de l’amour.

Parmi les nombreux symboles utilisés par Koraïchi, le cyprès indique une ascension vers le haut, une montée vers le spirituel ; le cercle symbolise généralement le ciel et le monde spirituel ; la barque est le symbole du voyage et de la traversée de l’existence ; le croissant de lune associé à une étoile représente le paradis ; la spirale symbolise la dynamique de la vie, le mouvement des âmes ; l’étoile guide la marin ou le nomade, Etc.

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Sculptures de Rachid Koraïchi – © Dominique Lefevre

Paix et de dialogue

Bien au-delà de son art, toute la vie de Koraïchi s’exerce à être une œuvre de paix et de dialogue. Ses collaborations sont multiples avec des écrivains et poètes de toutes cultures et confessions religieuses : René Char, Michel Butor, Sylvie Germain, Nancy Huston, Bernard Perroy, Mohamed Dib, Salah Stétié, Mahmoud Darwich, Kateb Yacine, une anthologie de poésie algérienne, Etc.

La mort des 7 moines de Tibhirine l’a beaucoup marqué, comme toute les manifestations de violence ou d’intolérance. Il fait le parallèle entre cet épisode dramatique et le conte populaire arabe des “7 dormants d’Ephèse” qui évoque une « mise à part » de la vie quotidienne et le mystère d’un sommeil e qui débouche sur une résurrection… C’est pourquoi, parmi son oeuvre immense et multiple, Koraïchi a consacré un ouvrage monumental leur rendant hommage : il rassemble 7 auteurs d’horizons culturels et religieux très divers (Nancy Huston, Michel Butor, Sylvie Germain, Hélène Cixous, Alberto Manguel, Laïla Sebbar, John Berger). Chacun s’est vu la tâche d’écrire à sa façon sur l’un des 7 moines de Tibhirine. Le tout est magnifiquement illustré par Rachid Koraïchi (« Les Sept Dormants” est édité chez Actes Sud, ).  Ces 7 coffrets d’art ont été présentés pour la première fois le 30 décembre 2003 à l’abbaye d’Aiguebelle : oeuvre remarquable par sa qualité et son esprit d’œcuménisme…

 

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Serge Nouailhat mit sur vitrail des oeuvres de Rachid Koraïchi

Un travail à trois (avec Akeji, calligraphe japonais et Hasquin, peintre chrétien) fut exposé à l’UNESCO en Février 2005, et l’on pourrait ainsi multiplier les exemples… Cet homme se plaît à répéter que ce qui n’est pas offert est perdu et qu’un sourire suffit à redonner espoir…

 

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B. Perroy et R. Koraïchi – ©  D. Lefevre

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Notice biographique

Né en 1947 à Aïn Beïda (Algérie), il vit aujourd’hui à Paris. Diplômé des Beaux-Arts d’Alger, des Arts Décoratifs et des Beaux-Arts de Paris et de l’Institut d’Urbanisme de l’Académie de Paris, il expose depuis 1970 dans le monde entier : Europe, Afrique, U.S.A., Moyen-Orient…

Bernard Perroy et Rachid Koraïchise sont rencontrés dans le site cistercien de l’Abbaye Blanche (en Normandie), lieu d’art, de prière et d’unité. Rachid Koraïchi collabore à la vie du lieu tout en y exposant régulièrement. Deux ouvrages résultent de l’amitié entre les deux artistes : Coeur à coeur” (2006) et Une gorgée d’azur” (2011), tous les deux édités aux éditions Al Manar.

 

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(nombreuses collaborations avec écrivains et poètes

aux éditions Al Manar dirigées par Alain Gorius)

96 bd Maurice Barrès, 92200 Neuilly

www.editmanar.com / editmanar@free.fr 

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Un mot sur Gilles Baudry…


GILLES BAUDRY
ÉCRIRE COMME ON ÉCOUTE

par Bernard Perroy

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(article à retrouver dans la revue « Friches », n° 103, déc 2009)

Un mot sur Gilles Baudry... dans Articles B. Perroy SUR...© D.R.

« Une voix accordée au silence »

 Gilles Baudry, ce fut d’abord pour moi cette voix avenante et fraternelle que je découvris, voici déjà plus de quinze ans, au bout du fil… (téléphonique) ! Une voix qui s’accordait à merveille avec le titre du premier recueil que j’ai connu de Gilles : Invisible ordinaire (1). Oui, plus que les mots eux-mêmes, la voix véhiculait le fleuve d’une vie d’écoute, d’attention, portée par une curiosité insatiable, une quête, une passion, en même temps qu’elle s’écoulait tranquille dans les méandres d’un temps tout ordinaire : invitation à voir et à toucher la trame bien réelle de ce qui fait notre quotidien, invitation à toujours plus d’incarnation et d’humanité pour déceler en filigrane ce ‘je ne sais quoi’ qui provoque l’étonnement : Mais qu’est-ce qui fait battre le cœur immobile des roses ? (2)

Le moine bénédictin et le poète – que j’ai rencontré par la suite à l’abbaye de Landévennec – a toujours beaucoup de choses à raconter ; mais curieusement, tout se dit et se partage sous le sceau d’un Présent intérieur (3) – pour reprendre le titre d’un autre de ses recueils – qui donne à la voix sa qualité de silence… Un silence habité… Une voix confidente… Le poète, parlant de son écriture, affirme : « Dans le poème, la parole est une modalité du silence. La poésie est une voix accordée au silence, un chant-respiration de l’être né de l’écoute, de l’attention extrême. » (4) Rien ne presse… Nécessaire lenteur à qui veut vivre profondément l’instant présent et goûter la majesté des heures les plus quotidiennes (2), ou encore comment aujourd’hui l’air est si pur qu’il improvise (2). Invitation à la patience : Le temps repousse les avances de la hâte (1). De quoi affiner l’ouïe, le regard et le désir pour être dans cette disposition d’accueil ou de veille, en toute simplicité. Et l’on baisse la voix/ pour mieux se voir et pour apprendre/ l’humilité d’être homme (5).

Gilles Baudry fait partie, avec Philippe Jacottet ou Jean-Pierre Lemaire, de ce que Jean-Pierre Denis appelle les “poètes du murmure” (6). Ces poètes ont en commun une écriture discrète, intime, où « le sentiment d’un illimité donne sens à notre limite » (7). Dans la poésie de Gilles Baudry, loin des voix claironnantes et des grands mots, « Dieu, rarement nommé, se laisse deviner par une parole qui a intériorisé la lecture de la Bible » (6). D’ailleurs, pour Gilles Baudry : moine et poète, ce n’est ni un dualisme, ni un amalgame. Une double et unique tension plutôt vers une même direction (8).

  dans Articles B. Perroy SUR...© D.R.

« L’oreille aux sources » (9)

Quand on s’aventure dans un recueil de Gilles Baudry, on entre dans un pays/ où le secret est un bouche à oreille/ de la part des sources (5). Le lecteur, avec le poète, part à la conquête d’un “inaudible” qui vient se dire comme l’effleurement de la brise (1), et l’on devient le détenteur d’un rêve légitime/ qui demande où naissent les vents/ où meurt la mélodie de notre destinée (1). L’écriture, pour Gilles Baudry, n’est jamais un “acquis”, mais bien plutôt un chemin…

Gilles ne se considère pas comme le propriétaire de ses mots mais comme le dépositaire d’une parole (3), et plus précisément comme un artisan passeur de sève (1) : sève lente, invisible mais réelle et prédisposant, sous l’écorce, à l’éclosion de la vie… Il y a chez lui une intrication, une réciprocité fondamentale entre le visible et l’invisible, entre la pulsation des mots et celle de la vie dans son expérience concrète la plus authentique, comme l’atteste cet admirable aphorisme : Écris avec l’âme des mots, mais donne-leur ta propre chair (8).

Gilles Baudry fait ce va-et-vient permanent entre le ciel et la terre, l’éternité et la teneur de ces paysages confidents (3) que sont pour lui l’océan, le pouls des marées (2), les monts d’Arrée, la Brière, les îles comme Sein ou Ouessant, l’Aulne visible de sa fenêtre ou encore le désert du Neguev… Une poésie de l’ineffable qui s’entend à merveille avec l’art du détail, avec une écriture de libellule (2) qui s’attarde sur une odeur de mousse et d’humus (2), sur l’enluminure des fougères couleur renard (2) ou sur ce ciel d’octobre où tremble l’or fin des bouleaux (1). Une poésie de l’instantané – non de l’immédiateté – qui recèle dans le même temps cette interrogation : Que sais-tu de l’éternité/ sans ombre et sans rivage,/ de sa soudaine coulée d’or/ sur tes épaules brèves ? (1).

Une poésie ‘recto-verso’ : L’écriture des arbres aux gothiques jambages recèle à son verso une trouée d’extase, un guet-apens de l’invisible (10). Avec cet inouï du regard (10), Gilles Baudry observe, vit et jubile devant les jeux et le miel de la lumière (9) posée sur toute chose telle un battement intime entre l’aube et l’aurore (9). Le poète avoue : J’ai perdu pied dans la louange… /et quand m’étreint la joie/ entre ses hanches riveraines/ je m’en reviens/ au lieu de ma naissance (1). Et l’homme ici cultive l’émerveillement qui n’est pas une joie béate mais bien un émerveillement mûri par les épreuves, l’expérience du manque, de la brûlure de vivre (11) ou encore de la profonde fêlure du monde (2)… C’est donc une décision, prise non sans humour : Prendre l’habitude de ne pas s’habituer (8)

 couverture© D.R.

« Homme dont l’enfance reste inachevée » (1)

L’enfance… Non un vain mot, mais bien la conduite de celui qui va d’un pas de premier jour (1). Aimer nous dépossède./ Cette pauvreté nous irrigue (9) confie Gilles Baudry qui précise ailleurs : Mieux vaut que rien ne tienne entre nos mains… Ce qui nous serait retiré élargirait notre horizon (1). Être enfant, se faire léger (2), c’est ne plus rien avoir à retenir, c’est céder à cette haute folie/ d’aimer sa pauvreté (5), c’est trouver la force d’être sans défense (1). Le vieil homme, enfant devenu/ rira sans bruit sous son jour le plus vrai (5).

Cette attitude est en même temps pour Gilles Baudry le gage d’une fécondité, car elle engendre une ouverture à tout ce qui nous entoure, une ouverture à l’autre… et permet de s’enivrer de gratitude (10). L’autre sera ce peintre ou ce musicien que Gilles convie dans ses textes à la hauteur des émotions qu’ils engendrent, comme avec les couleurs de Zao Woo-Ki, Chagall, Turner… ou les notes fertiles de Sibelius, Th. L. Victoria, Bach, Satie, Dutilleux, Arvo Pärt… Sur fond d’éternité/ la musique n’est rien/ que ce frisson/ qui nous dépasse d’une épaule (2). Cette ouverture à l’autre forge également chez Gilles une prédisposition à la rencontre et à l’amitié, avec des poètes comme Manoll, Hélène Cadou, Anne Perrier, J.P. Lemaire, Sylvie Reff, Jean-François Mathé, Jean Lavoué, Pierre Gabriel, Serge Wellens, J.P. Jossua, Josette Ségura, Yves Prié, Jean-Yves Masson, F. Cheng, François Cassingena-Trévedy et bien d’autres…

Gilles Baudry constate que le poète est un homme ordinaire, mais à l’écoute… Selon lui, « il faut démystifier l’inspiration, la poésie, tout en leur accordant un espace : celui du mystère. L’important, c’est tout ce qui n’est pas dit. » Son écriture se garde de toute emphase, aime le blanc des marges. Il s’agit moins d’aligner des mots que d’en retrancher, mais en se gardant également de tout minimalisme. Humaine, son écriture respire le “tremblé” d’une vie réceptive à la signature d’un brin d’herbe (5) ou à un bruissements de cœur (2). Laissons encore à Gilles Baudry le mot de la fin : Comme affranchi des mots/ le silence te gagne// les mains tranquilles sur la table/ tu attends que la plume retourne à l’oiseau (2)

Bernard Perroy

Notes :
1 Invisible ordinaire, éd. Rougerie, 1995
2 Versants du secret, éd. Rougerie, 2002
3 Présent intérieur (précédé de Poèmes Choisis 1984-98), éd. Rougerie, 1998
4 propos recueillis par François-Xavier Maigre (‘La Croix’ du 21 février 2009)
5 La seconde lumière, éd. Rougerie, 1990
6 dans un article qui rassemble P. Jacottet, G. Baudry et J.-P. Lemaire (revue “Écritures”)
7 Jean Starobinski, Parler avec la voix du jour, préface à Poésie (1946-1967) de P. Jacottet, Poésie/Gallimard
8 La porte des mots, Aphorismes, éd. Rougerie, 1992
9 Jusqu’où meurt un point d’orgue ?, éd. Rougerie, 1987
10 Nulle autre lampe que la voix, éd. Rougerie, 2006
11 Il a neigé tant de silence, éd. Rougerie, 1984 (Prix Antonin Artaud 1985)


Notes perlées… de Sr Tsegué-Maryam Guébrou

Un curieux mélange de mélancolie et de gaité

de Bernard Perroy

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(© article de Bernard Perroy paru dans la revue Feu et Lumière n° 294, mai 2010)

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Retirée dans un monastère de Jérusalem, Sr Tsegué-Maryam vient des hauts plateaux de l’Éthiopie où elle naquit en 1923… L’album “Piano Solo” reflète le génie de cette pianiste qui apprit le piano en Suisse alors que cet instrument était quasi inconnu dans son pays.

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En dépit de son âge, Tsegué-Maryam rayonne. Sa vie ne fut pas “un long fleuve tranquille” ! Une “errance” que l’on retrouvera d’une certaine manière dans ses compositions.

 

Parcours nomade

Elle est née d’un père qui fut l’un des fidèles diplomates de l’empereur Hailé Sélassié. Dès l’âge de 6 ans, avec sa sœur Senedou, elle s’envole en Suisse dans un pensionnat. À 10 ans, elle rentre en Éthiopie, mais en 1936, lorsque Mussolini occupe le pays, la famille Guébrou est déportée en Italie. Après la défaite italienne de 1941, elle s’installe en Égypte : « Au Caire, je jouais quatre heures de violon par jour et cinq heures de piano l’après-midi, sous la houlette d’Alexander Kontorowicz, un violoniste polonais. » En 1944, elle revient en Éthiopie : « L’empereur Sélassié fut très généreux. J’ai joué plusieurs fois au palais. » Mais elle va tourner le dos au protestantisme de son père, se convertit à l’orthodoxie et décide de se retirer du monde. Elle abandonne alors son prénom de naissance, Yèwèbdar, pour devenir Sr Tsegué-Maryam. Entrée nonne en 1948, mais de santé fragile, elle va renoncer à la rigueur du monastère éthiopien pour enseigner dans un orphelinat. Elle parle plus de six langues (anglais, allemand, italien, hébreu, amharique, guèze) et sera interprète durant 5 ans au secrétariat de l’Église orthodoxe éthiopienne, à Jérusalem. « Je me suis définitivement installée à Jérusalem en 1984 et je n’ai pas bougé depuis ! » Dans le monastère où elle se trouve désormais, elle joue du piano tous les matins « sauf le dimanche ! »

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Habitée et bouleversante

Le CD Piano Solo est une merveille (1). Il rassemble des œuvres anciennes ou plus récentes. En effet, entre 1962 et 1973, elle enregistre quatre albums devenus rarissimes. Sa musique est du “jamais entendu”. Comment définir cette œuvre fulgurante qui vient transpercer notre cœur ? Les compositions de Sr Tsegué-Maryam évoquent par moments, dans une couleur éthiopienne, les saynètes d’Erik Satie ou curieusement le jazz d’un Thelonious Monk ou d’un Bille Evans qui joua longtemps avec Miles Davis. Nous ne savons pas toujours où l’on va, dans ces mélodies égrenées comme des gouttes de pluies… « Frêle, habitée et bouleversante, la musique de Tsegué-Maryam Guébrou se nimbe d’une mélancolique gaieté » écrit Florent Mazzoleni (2). Doux mélange qui reflète à la fois l’errance – comme nous le notions plus haut – et une volonté d’airain de la part d’une femme qui aurait pu se contenter d’être la descendante d’une grande famille de lettrés, mais qui fut pianiste, compositrice, religieuse…

 

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Aspiration au large

Dans cet album, Piano Solo, se trouvent réunis 16 morceaux dont l’un, “Mother’s love” (L’amour de ma mère), est composé à la mémoire de Kassaye Yelemtou, sa « très chère mère ». D’autres son dédiés à son père, à son frère mort durant la guerre contre l’Italie. Un autre est intitulé “The Song of the Sea (La chant de la mer) qu’elle commente elle-même, montrant combien sa vie d’errante l’entraîne à cette aspiration “au large” : « Écoutez… ses vagues vous emportent pour un voyage au loin… » Des pièces sont dédiées à Jésus, en son Agonie ou sur le Golgotha. Elle commente encore : « Il est mort pour que nous puissions vivre éternellement dans son Glorieux Royaume. »

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Image de prévisualisation YouTube

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Notes :
(1) C’est le vingt et unième volume de la série “Éthiopiques” créée par l’ethnomusicologue Francis Falcetto : ÉTHIOPIA SONG, Emahoy Tsegué-Maryam Guébrou – Piano Solo – Buda Musique
(2) Article dans “Le Monde 2” de mai 2007. Voyageur, journaliste, photographe. écrit sur les musiques populaires, l’Afrique et le Sud des Etats-Unis.

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(© article de Bernard Perroy paru dans la revue Feu et Lumière n° 294, mai 2010)

 

Un mot sur Terri Rose…

Portraits de Shoah
par Bernard Perroy

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© article paru dans le mensuel « Feu et Lumière » n°259, mars 2007

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Terri Rose a peint 37 tableaux intitulés Portraits de Shoah. Ils nous transmettent ce que l’artiste porte sans doute en elle de plus profond. Ils viennent nous rejoindre dans ces mêmes profondeurs où tout se décide, d’abord pour nous-même, mais aussi pour l’humanité…

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Shlomo, Vania, Sal et Mendel – © Terri Rose


Terri est née aux U.S.A. d’une mère juive aux ascendances autrichiennes et d’un père polonais immigré. Elle se souvient de son enfance marquée par une pesanteur, une lourdeur, non forcément exprimée… « Plus tard, dit-elle, j’ai compris tout l’héritage de ce poids dû au passé de ma famille dont beaucoup sont morts dans les camps de concentration. »

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Une immense boîte

Terri se met alors à enquêter sur sa généalogie ; elle regarde sur internet le Yiskor Book (Yiskor : prière pour les morts). « Je n’ai rien trouvé sur ma famille, dit-elle, mais j’ai découvert tous ces milliers de noms défilant sur l’écran… ». Un déclic s’est fait en elle : « Ce ne sont pas seulement des noms ; derrière ces noms, c’est le mystère de vies entières ! » C’est comme cela que des visages lui sont apparus en imagination : « En peignant, c’était comme si des gens avaient envie de venir et venaient !… Ces visages ont chacun leur histoire. » Mais Terri insiste pour dire que ces portraits sont tous imaginés et qu’elle ne s’est appuyée sur aucun document, aucune photographie ; seulement sur ces listes interminables de prénoms.


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Le départ – © Terti Rose


Elle sort une immense boîte, comme une boîte d’anciennes photos ou de chocolats ! Elle en sort délicatement un premier portrait emballé dans du papier fin, puis un autre… et les commente tour à tour : « Celui-là, c’est un rabbin, un résistant ! (…) Olga, c’est une Russe (…) Ça c’est un couple qui se dit au revoir (…) Esther, dans la chambre à gaz, se déshabille, un peu pudique, car elle est tout de même jeune, elle a honte en même temps qu’elle se sait belle : c’est un moment ambigu… ». Et l’on découvre ainsi, avec beaucoup d’émotion : le voleur de pain, Alex le violoniste, le Muselmann (terme des camps pour désigner les gens devenus comme des morts vivants : « Ils sont là de corps, mais leur esprit est déjà un peu parti »). Et puis, il y a cette petite fille d’Auschwitz ou des tableaux manifestant la violence reçue, la peur, la faim, la honte ou la solitude, avec cette tête penchée, repliée comme sous le poids d’un immense fardeau… La couleur bleue – « rare chez moi ! » précise Terri – confirme l’intensité du sentiment…


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La solitude – © Terri Rose


Des êtres à part entière

« J’ai ici une façon de peindre que je n’avais pas avant. » Terri s’adonnait alors à quelque chose de plus “design”, laissant moins de place au sentiment. De ces Portraits de Shoah – représentant parfois des situations extrêmes – se dégage beaucoup de gravité, mais il n’y a jamais rien de morbide. Ce sont des regards intenses, percutants, sur des visages souvent décharnés, dans lesquels subsiste malgré tout une étincelle de vie. Pour Terri, ces portraits ont été un moyen d’exorciser ce passé si lourd, d’en parler, d’être apaisée.


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Le Ghetto – © Terri Rose


Terri parle d’Ana, d’Élie, de Chaïm, de Babouchka, de Shlomo… comme si elle les connaissait, les aimait. Ils sont devenus à ses yeux des familiers et des personnes à part entière ! On retrouve par exemple Alberto par deux fois : Il deviendra fou ; Vania revient également dans un autre tableau : Il survivra au camp… Pour Terri : « Le grand artiste, c’est le Créateur qui transmet le beau avec tant d’amour et qui n’est pas dans ce que les hommes ont fait de lui !.. Et je me sens comme un outil vis-à-vis de cela. » L’artiste a la satisfaction d’avoir fait ici une œuvre importante pour elle-même avec ce sentiment d’avoir vécu “le grand rendez-vous qu’il ne fallait pas rater ! »


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Lever du jour – © Terri Rose


Au-delà du caractère purement personnel de l’œuvre, ce travail est devenu un “outil pédagogique” (1). Dépassant toute idéologie, culture ou religion, Terri désire œuvrer pour la paix : « Je souhaite que mon travail ne soit pas une iconographie de la tristesse, mais un véhicule vers une vraie réflexion sur la condition humaine pour les générations à venir… ».

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(1) Portraits de Shoah est une exposition itinérante (non à vendre) qui s’adresse – à la demande – à tous : scolaires, galeries, lieux de culte de toute religion, autres… (Tél. 02.41.95.50.02. / 06.77.49.86.05.)

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Biographie succincte

- Née à New York en 1962, vit en France depuis 1982 ; mariée, mère de deux enfants ; fût élève au Hight School of Art and Design et à l’Adelphi University de N.Y.C. ; voyage ou séjourne en Israël, Afrique, Europe…
– À Paris, exerce jusqu’en 1994 dans les métiers de la publicité et du décor de théâtre, puis décide de se consacrer exclusivement à la peinture ; s’installe en Anjou.
– Travaille souvent sur des séries : « Les natures mortes” (sur toile), “Portraits de Shoah” (sur carton), “Les nus” (monochromes). Travaille actuellement sur une série de paysages…


© article paru dans le mensuel « Feu et Lumière » n°259, mars 2007
(voir en marge à droite dans « Albums photo dans « Albums photos« )

Un mot sur Philippe Mac Leod

Quand les mots se retirent d’eux-mêmes
pour laisser place à la lumière

par Bernard Perroy

Philippe Mac Leod nous attire et nous surprend. Il nous décrit le monde, et particulièrement les paysages pyrénéens qui l’entourent, avec une grande simplicité, mais dans un regard contemplatif qui traverse toute chose, ou plutôt l’accueille, à la lumière de ce qui nous dépasse et qui pourtant fonde tout élan humain…

« Fraîcheur première »

Ses descriptions sont à la fois réalistes, remplies de détails et de saveur, s’attardant sur une branche, un soleil, un bruit d’eau… et dans le même temps, ce sont des “descriptions-supports” pour entrer dans la limpidité d’un monde “autre”, d’un paysage intérieur, d’un “invisible” qui sous-tend le “visible”… Mais rien d’introspectif, aucune pesanteur ou rationalisation… Bien plutôt des “faits” d’expérience, avec la légèreté de quelqu’un qui pratique l’émerveillement, écartant le voile des apparences pour nous faire pressentir la profondeur du réel en ses mille et une choses dont il ne faut « jamais perdre le contact fragile avec leur fraîcheur première. » (in “L’infini en toute vie”, éd. Ad Solem, 2008).

« Tout est en toi »

Chez Philippe Mac Leod, il y a toujours – volontairement ou non – ce double jeu, cette réciprocité entre “intériorité” et “extériorité”, entre le fait de scruter des « platanes le long du canal, hauts dans la lumière vive, et nus sur l’azur » à qui l’auteur confie : « Je vous aime, frères élancés, sous l’écorce de vos âges légers sur l’eau, fermes en la terre mais tout entiers pour le ciel » (in “Le pacte de lumière”, éd. Le Castor Astral, 2007), et le fait de préciser : « Tout est en toi, c’est de ton cœur le plus profond que la lumière surgira » (in “L’infini en toute vie”), ou encore : « Que cherchons-nous, sinon ce que déjà nous portons ? » (idem).

« Cette soif des commencements »

Oui, il y a de la ténacité chez Philippe Mac Leod à nous livrer toujours le même message, en contrepoint de beaucoup d’autres œuvres contemporaines : un message de vie, d’espérance, de lumière… Mais ne nous y trompons pas : derrière cette apparente tranquillité, cette vie d’ermite qui est celle du poète, derrière ce ferment de “Sagesse” que peuvent contenir ses mots, il y a d’abord et toujours un élan brûlant, une recherche, une faim… « Nous sommes toujours en route, je ne puis me concevoir qu’en marche » écrit-il dans “L’infini en toute vie” et un peu plus loin : « Le chemin s’invente » (idem). Ce marcheur, au sens propre comme au figuré, insiste en nous confiant : « Nous n’aurons pas d’autre gage, que cette soif des commencements » (idem).

Un pèlerinage du coeur

Page après page, il s’agit dans le fond d’un pèlerinage, autant avec les pieds qu’avec le coeur. Une marche délectable pour le lecteur de ces textes poétiques dont le style se met au service d’un émoi simple et si pur quand l’auteur admire ce « paysage craquelé comme un vieux tableau, tissé de brume et d’une lumière si blanche » que Philippe Mac Leod se demande : « Passerons-nous au travers ?»

Nous aurions envie de nous attarder en compagnie de ces pages qui respirent le jour, la nuit, les vignes, les saisons, la vallée, le ruisseau, les petits matins, les arbres, la montagne… jusqu’à sentir parfois combien, « au clair de l’hiver, chaque feuille brûle d’une clarté secrète et rayonne autour d’elle comme un jour cousu de transparence »…

Bernard Perroy

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 éléments de bibliographie :

- Habiter les mots (Ad Solem, 2016)

- Le Vif, le Pur (Le Passeur, 2013)

- Le pacte de lumière (Le Castor Astral, 2007)

- Sagesses (Ad Solem, 2001)

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“Béatitudes” de Pierre Deuse – photo © D. Lefevre

Un mot sur Jean Hourlier…

La magie d’un horloger
de Bernard Perroy

(article paru dans « Le coin de Table » n°44, novembre 2010)

Jean Hourlier n’est pas de ce temps, et n’a jamais été de ce temps. Hors temps, Jean Hourlier ! Et pourtant le poète est immergé dans le flot d’une existence active (1) et son écriture vient déchiffrer l’or des jours en s’ouvrant paradoxalement à la nuit « digne de la clarté riveraine des ombres »…

Bienheureuse opacité…

Quand la seconde nuit a débordé ta nuit / Pour fabriquer du jour d’un excès de ténèbres, écrit-il dans “L’œil Définitif” (éd. du Petit Pavé, 2002). La poésie de Jean Hourlier est un chant à la fois sombre et éclatant, mariant les contraires pour mieux faire jaillir les contradictions et les contrastes de cette vie, et surtout pour nous faire toucher par les sens (toucher, lumière, musicalité du mot, etc.) cet “au-delà des sens” et cet “au-delà du sens”… Plus exactement, pour reprendre ses propres mots, « la poésie vise l’arrière-sens »… À propos de Jean Hourlier, Katty Verny-Dugelay écrit que celui-ci « souhaite accéder dans son cheminement intérieur, quel que soit “le cœur inaccompli !”, à une altitude de l’être » (2).

Chez Jean Hourlier, pas d’esbroufe, pas d’éclat, mais un fil tranchant : le couteau d’une écriture qui taille et façonne un diamant dur et froid auprès duquel l’âme s’échauffe, s’éveille, si elle était endormie ! C’est une écriture méticuleuse d’ébéniste « par le recueillement de ses encres noueuses ». Le poète, ici, ne cherche pas la facilité d’une clarté déployée trop rapidement ; il confie dans l’une de ses conférences (3) : « Trop de clarté tue l’illumination. » La résistance, l’opacité capiteuse de ses textes sont volontaires. Il les considère comme « une chance pour le lecteur (car) elles lui demandent sa collaboration active et inventive. »

 On cherchera toujours…

 Quand on “sort” d’un poème de Jean Houlier, on ne sait rien de plus, sinon qu’une vague d’étonnement, de vide, ou même de désarrois, mais aussi de “satisfaction” indicible, vient irriguer notre demeure intérieure, cette “Chambre impondérable” pour reprendre le titre de son dernier recueil (éd. du Petit Pavé, 2009). Quand on “sort” d’un poème de Jean Hourlier, on sait qu’on ne sait rien, qu’on ne sait pas, mais que l’on cherche, et que l’on cherchera toujours… « Errance » est ce vocable qui revient souvent dans l’écriture de ce grand silencieux, de cet homme respectueux d’autrui, homme d’une grande qualité d’âme et d’ouverture. Il dira : « Nous avons tous besoin de nous relier aux autres, à quelques autres du moins, par-delà les explications et les déploiements. » Et c’est un homme qui vit ce qu’il dit… Un homme aussi qui a une sainte horreur des frontières ou des “comblements” trop rapides, trop superficiels, que nous nous fabriquons souvent pour oublier ou fuir la fragilité et l’inachèvement de cette vie, nos manques et notre abîme…

Ce “chercheur” marche dans la vie avec ce constat lucide devant l’énigme :

Entraînée par les fièvres mourantes, la frêle
Vision s’exonère des vains ornements ;
Les brouillards de la nuit gémissent doucement
Les poisons, les marais, les larmes de leurs ailes…

La vie est un cadeau si difficile à vivre, à déchiffrer, à déplier, si paradoxal, si mystérieux, qu’on ne peut lui faire face qu’avec ce « chant bas et voilé » qui s’élève, implorant, « pour murer l’erratique errance de la foudre ». La poésie de Jean Hourlier est à la fois intime, lumineuse, sombre, angoissée, concise, ouverte, nue, mélancolique, implacable, musicale, inattendue, douloureuse, attentive… « Puis plus rien, que le Temps, dans le Temps, qui se traîne… »

 Faire œuvre de décantation…

Jean Hourlier, avec l’obstination, la précision de l’architecte, de l’horloger, du ciseleur, façonne ses quatrains dans une langue noble et savante, dans une gangue, un corset de beauté pour libérer curieusement le lecteur de la gangue des jours, et des nuits, et de tout ce qui vit en lui comme une enceinte, un mur, une question, un péril… Ses poèmes, une fois lus, nous renvoient aux questions, à l’énigme de la vie qui nous habitent, mais nous sommes alors “arrosés” et “nourris” de ces mots dont la puissance – du fait de la structure, de la concision, du vocabulaire et des sonorités – vient comme “rafraîchir” le coeur, et non pas faussement le “consoler”, le “rassurer” !

Le poète, agnostique, ne cache pas son amitié pour Maurice Courant (4), cet autre “chercheur”, chrétien, qui parle de l’écriture de Jean Hourlier en ces mots : « L’irrécusable et frémissante rectitude de son chant emporte spontanément l’âme en dehors d’elle-même et là où elle ne serait pas allée sans lui. » Jean Hourlier dira lui-même de sa propre démarche qu’elle est « la recherche d’une forme impeccable, susceptible d’agir comme un excitant psychique. » En pensant que « l’incantation est œuvre de décantation », Jean Hourlier revendique comme influences majeures de son écriture, Mallarmé et Valéry. Sa poésie dépouille, décape et « décante », effectivement, mais avec une “magie” qui s’opère, une harmonie des mots qui se laisse “infuser” dans la vie-même de nos âmes…

Notes

(1) Né en 1951 ; professeur de lettre modernes à Cholet ; a fondé l’association “Poésie à l’Ouest” ; a créé, et dirige depuis 2005, la Collection “Le Semainier” aux éditions du Petit Pavé.
(2) Dans la revue Arpa n° 97, octobre 2009.
(3)Sur la poésie”, conférence donnée à Cholet, le 1er mars 2001 (fait suite à “L’œil définitif”, éd. du Petit Pavé, 2002)
(4) cf la conférence-hommage à Maurice Courant, “Entre ténèbres et lumière” donnée en 2008 à Cholet dans le cadre de l’Association Poésie de l’Ouest

Bibliographie

- “Délaissement de la prose”, éd. La Bartavelle, 2000
- “L’Oeil définitif”, éd. du Petit Pavé, 2002
- “Près des Sources cruelles…”, éd. du Petit Pavé 2005
- “La chambre impondérable”, éd. du Petit Pavé, 2009

 -  © article paru dans « Le coin de Table » n°44, novembre 2010 -

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(voir, en marge de droite, les Liens : de Jean Hourlier, des éditions du Petit Pavé, de Maurice Courant)

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Un mot sur Hanna Sidorowicz…

Une alchimie de l’âme
par Bernard Perroy

Peintre d’origine polonaise, Hanna Sidorowicz nous offre un univers très personnel, peuplé d’anges, de visages, de personnages, en des scènes dont le sens profond est laissé à notre contemplation et à notre propre interprétation… Nous avons rencontré Hanna Sidorowicz à Paris où elle vit et travaille depuis vingt-cinq ans en occupant une place toute particulière sur la scène artistique actuelle.

l1070066.jpgphoto © Dominique Lefevre

Bienheureuse intuition…

Son travail procède d’une démarche très intuitive et ne cherche pas toujours le sujet précis : « On est porteur de beaucoup de choses. À un moment il faut l’exprimer. Les sujets, les couleurs ? Çà me vient souvent au réveil !.. » Plus que d’une architecture ou de la beauté d’un paysage, c’est ce qui habite l’homme, ses interrogations, sa misère, sa souffrance, sa beauté… C’est toute cette “pâte humaine” qui retient notre artiste. De multiples personnages sont rassemblés dans ses toiles sans que l’on sache trop ce qu’ils font, ce qu’ils se partagent ou se racontent… Ils sont souvent à la recherche de quelque chose, d’un sens peut-être de la vie ? « Libre à chacun d’y voir et d’y ressentir ce qu’il veut. »

l1070080.jpgphoto © Dominique Lefevre

 

Dessin et peinture dès l’enfance

Sa passion pour le dessin et la peinture remonte à son enfance : « Dans la bibliothèque de mes parents, j’avais déniché un manuel russe de dessin, j’y ai découvert les dessins de Léonard de Vinci et rêvais de dessiner comme lui ! J’aimais aussi Rembrandt et tous ces peintres dont je copiais les tableaux en désirant faire partie de leur univers. »

Une alchimie de l’âme…

Les tableaux d’Hanna nous renvoient à nos propres interrogations. Elle fait sienne la parole d’un artiste, trouvée dans un article, à peu près en ces termes : « Même si je suis un artisan qui pose tel ou tel pigment sur la toile, il se dégage de celle-ci une autre alchimie que celle des couleurs, c’est celle de l’âme… J’espère que ma peinture vient de l’intérieur. » Ses toiles traitent davantage des couleurs et des interrogations intimes de son coeur que d’un sujet extérieur précis. « On peint toujours un peu de soi-même », nous dit Hanna.

Entre visible et invisible

Dans ses oeuvres, nous sommes souvent en présence d’anges, ou bien d’un “cercle” humain, pour quelle relation entre les protagonistes ? Pourquoi des anges reviennent-ils si souvent chez l’artiste ? Hanna aime entre autres répéter qu’ils sont « un pont entre la terre et le ciel, entre le visible et l’invisible. » Et tous ses personnages font écho également à ce qui se passe d’invisible entre les hommes, ce qui ne se dit pas toujours, mais qui s’exprime autrement, et plus fondamentalement, par une qualité de présence, tout simplement…

l1070105.jpgphoto © Dominique Lefevre

Jouer avec la lumière…

Hanna aime jouer avec la lumière, les contours et les contrastes : des silhouettes, contours noirs sur fond blanc… Une seule couleur, le rouge, pointe dans cet univers comme un rehaussement qui “flatte” l’œil en même temps qu’il représente peut-être un cri, une touche de vie, une note de sang ? Une paix, curieusement, habite ces tableaux nimbés de silence, et d’ue certaine “suspension” du temps…

 

Le trait et le mouvement…

Sa technique est celle du dessin et de la calligraphie. Même si le travail est spontané, il nécessite aussi beaucoup de concentration pour que le trait, incisif, résultant de toute une gestation, surgisse avec justesse. Le trait et le mouvement font une grande part de l’œuvre d’Hanna. Elle utilise la tempera, peinture au jaune d’œuf dont la technique, très répandue au Moyen-Âge, permet que « la couleur garde, à travers le temps, toute sa fraîcheur. »

Hanna Sidorowicz nous exprime, pour finir, son désir : « Que nous nous arrêtions, que nous rentrions dans une œuvre comme dans une sorte de parenthèse spirituelle qui nous amène à notre univers intérieur et nous sort pour un temps de nos soucis quotidiens »…


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Éléments de biographie

Née en 1960 en Pologne
1984 : diplômée de l’École des Beaux-Arts de Gdansk
1985 : s’installe définitivement en France
1987 : diplômée de l’École des Arts Décoratifs de Paris
1981 / 2010 : multiples expositions en France, Angleterre, Grèce, Pologne, Suède, U.S.A., Chine…



Un mot sur Nathalie Nabert…

SANCTUAIRE (éd. Ad Solem, 2008)

Une expérience d’encre et d’écriture sur l’espace sacré

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(article de Bernard PERROY paru dans la revue Feu et Lumière, n°287, oct 2009)

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Nathalie et Fleur Nabert, la mère et la fille, ont ensemble réalisé un ouvrage splendide intitulé  “Sanctuaire”. L’une y dépose ses poèmes, l’autre ses encres…

 Ici nous passons de l’exil à la profondeur du sanctuaire, de la nuit ressassée à la nuit bénissante, écrit Nathalie. “Sanctuaire” : un lieu mis à part pour nous retirer des bruits du dehors ou du dedans, pour cheminer vers notre propre sanctuaire intérieur et nous laisser rejoindre, au-delà du visible, par le toucher de Dieu.

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Respirer le silence

 Ce cheminement se fait dans l’espace, du parvis jusqu’au chœur en passant par la nef, et dans le temps, par le déroulement d’une liturgie. Le livre, dont le format épouse celui des encres (27 x 36 cm), suggère par son découpage cette progression, en 15 chapitres et 15 encres aux titres évocateurs : Profondeur de la nef, Luminaires, L’encens, La parole mangée, Les rythmeurs sacrés… Autour du texte, beaucoup de blanc, de marge… Un livre dans lequel on “respire” le silence…

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La Table des profondeurs, encre, 27, 36 cm

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Les encres de Fleur (1) utilisent à la fois la puissance et la sobriété du “noir et blanc”. Dans la “Table des profondeurs” nous sont restituées, en quelques lignes proches de l’abstraction, l’hostie, la patène, la table de l’autel : Là, il se tient, enchemisé dans la nudité des espèces, lueur d’aube et de gratitude. Certitude !

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Toucher l’infini

Ces choses humbles et quotidiennes voilent et dévoilent en même temps le mystère d’une transcendance : certitude de foi dans le corps et le sang du Christ. Le mystère, entouré de blanc, s’élève comme une aube qui s’ouvre au cœur de la nuit. Nathalie avoue être revenue au Christ à 33 ans, lors d’une “messe de rentrée” de sa fille, au cours de l’élévation de l’hostie.

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Par contraste avec les coups “griffés” de la plume, une “végétalisation” de l’encre, semblable à une “douceur d’algues”, entoure la zone blanche comme le parement (2) d’un autel. Entre l’encre et les mots, tout traduit une dimension d’éternité qui dépasse le simple présent : Voici la table des profondeurs, le festin divin, où nous touchons l’infini.

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Le Danseur Galiléen, encre, 27 x 36 cm

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Deux écritures

Les encres de Fleur donnent une atmosphère à la fois ondoyante et dense, par une technique qui demande énormément d’eau. Nous le voyons particulièrement dans “L’eau et le sel” où un homme lève les bras : Terre d’offrande… Entre nos mains nomades, nous te saluons ! L’écriture de Nathalie est “resserrée”, aphoristique, digne d’un René Char qui lui écrivait en 1973 : « La poésie bat dans votre cœur. Gardez-la car elle vous chérit. » (3) Le texte se réfère au monde “fini”, animal, minéral, archéologique (4), mais il est également marqué par un rythme profond, un souffle qui traduit une quête des origines, de l’universel ainsi que de l’indicible…

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L’eau et le sel, encre, 27 x 36 cm

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Bienheureux coup de cœur de la fille pour les textes de sa mère ! (elles travaillent habituellement de façon indépendante) qui nous vaut, en l’objet d’art comme en nos cœurs, une œuvre tout à fait inattendue, à la fois de rencontre et de soif…

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Nathalie Nabert : Née en 1955. Poète et Docteur en langue et littérature médiévale. Doyen honoraire de la Faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris. Dirige le Centre de recherche de la spiritualité cartusienne (5)

Fleur Nabert : Née en 1980. Sculpteur et peintre. Études supérieures de Lettres à Henri IV puis en Sorbonne. Aujourd’hui éditrice. Expositions personnelles et commandes (créations, aménagements liturgiques, vitraux…)

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Notes
(1) Sur Fleur Nabert, voir notre article dans F&L n° 255 (nov 2006)
(2) Bande de tissu ouvragé ornant le pourtour de l’autel.
(3) Parmi les œuvres poétiques de Nathalie : Finitude, La Barbacane, 1992, L’hiver ne sera plus dans mon amour, La Barbacane, 2003
(4) L’auteur est passionnée de préhistoire
(5) Spécialiste de la question, l’auteur a écrit plusieurs ouvrages dont Les larmes, la nourriture, le silence, Beauchesne, 2001, Prières cachées des chartreux, Seuil, 2009, Les Moniales chartreuses, Ad Solem, 2009.

Et de façon personnelle, chez Ad Solem : Liturgie intérieure, 2004 (Prix des écrivains croyants), Le maître intérieur, 2006

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article de Bernard PERROY paru dans la revue Feu et Lumière, n°287, oct 2009.

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Parmi ses autres ouvrages, à signaler :

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